Des avions publicitaires vont voler pour protester contre leur possible interdiction.
Une vingtaine de pilotes vont déployer des banderoles dans le ciel de l’Hérault. Leur activité est menacée de disparition… Le rapport final de la Convention citoyenne pour le climat propose en effet leur interdiction… (Extrait du 04/09/2020 Le Figaro)
« Publicité » est un mot que je m’amuse à décomposer en : « public » et « cité ». Est public, le domaine hors du privé. Cité, est ce qui est dit; le mot cache, par homonymie, la notion de lieu qui regroupe les hommes et leurs habitats. Les premiers villages marquent le début du Néolithique, des regroupements humains sédentaires, mais aussi des premiers échanges matériels et culturels. Les constructions se font plus imposantes. L’espace public se dessine. Le lien devient public dans la cité et la parole s’amplifie. Ce que nous nommons publicité est encore loin de sa forme actuelle, mais tous les éléments sont là pour provoquer son émergence, les produits, les échanges, la parole publique…

Les populations ont commencé à s’organiser comme de véritables communautés permanentes il y a environ 12 000 an. Elles ont changé leurs habitudes afin de pouvoir vivre et travailler ensemble en grand nombre, passant ainsi du nomadisme de chasseur-collecteur vers l’agriculture. Des greniers primitifs sont conçus pour entreposer la récolte des céréales. Des constructions communales et des lieux de rassemblement apparaissent.
Le développement de la publicité n’est peut-être qu’un signal, une jauge, un indicateur d’abondance ou de manque. En période d’opulence le vendeur craint de ne pouvoir tout vendre, il harangue la foule, il voit la marchandise partir, un nouveau concept apparaît. Le marchand saisit l’importance stratégique d’une nouvelle arme. La vente devient un combat sans fin qui s’adapte à la pénurie et à l’opulence au fil des siècles. Aujourd’hui la publicité entraîne les producteurs, les vendeurs et les consommateurs dans une danse à deux temps : produire et consommer. Le rythme est enivrant, il s’accélère, travailler pour consommer puis consommer pour travailler.

L’évolution Darwinienne montre que les êtres vivants optimisent extraordinairement l’énergie dépensée pour accéder aux ressources. L’homo-sapiens a connu bien des déboires dans la majeure partie du Néolithique. Les regroupements de population ont généré de nouvelles maladies, le temps consacré au travail a explosé, passant de deux heures quotidiennes chez le chasseur-collecteur à des journées entières chez l’agriculteur. À partir de la révolution industrielle, l’homme a réussi à provoquer un fantastique accroissement de la production, de la productivité et des rendements agricoles. En contre partie, sans parler des impasses environnementales, les hommes éprouvent la plus grande difficulté à tirer un réel profit de cette victoire. Soit, ils se noient dans des activités marchandes chronophages et addictives (surproduction / surconsommation), soit, ils restent en marge de ce mécanisme, volontairement pour une minorité heureuse, ou de manière subie, dans des situations amères pour la plupart. La publicité s’adapte à chaque groupe. Elle motive les « actifs » (au sens marchand du terme, entrepreneurs, salariés, monde des affaires…), elle « tente » la minorité heureuse en n’oubliant personne et elle occupe les inactifs et les moins nantis (les petits profits se multiplient avec le nombre). Malheureusement ce fonctionnement génère une débauche d’énergie, une frustration constante et un gaspillage de produits inadaptés à la santé et à l’équilibre de chacun en épuisant les ressources naturelles nécessaires à leur élaboration.
Des milliers d’années après les premiers annonceurs sur les marchés antiques, la publicité absurde, amusante ou déplaisante, envahit nos oreilles, sature notre champ visuel, à tout heure, en tout lieu. Elle s’infiltre par les moindres interstices. Pour s’en protéger il est nécessaire de se calfeutrer dans l’intimité ou de s’en aller loin de tout. À l’atelier les radios commerciales couvrent le bruit des machines. Le soir à la maison, s’infiltre doucement le bruit étouffé de la télévision du voisin, on distingue les « réclames ». La nuit, la pénombre est brouillée par les reflets des enseignes lumineuses. On cherche à l’éviter on la voit partout, on vit avec sans y faire trop attention, elle se fond dans l’environnement. Plus on se croit inatteignable, plus on est vulnérable. Achats impulsifs qui se transforment en regrets, chariots de supermarché qui regorgent d’objets, amertume des enfants après le refus d’un achat, toutes ces situations ne sont que les conséquences d’une même cause. La publicité peut nous charmer, nous plaire, nous consoler, nous exaspérer, n’oublions pas son objectif : ne pas nous laisser indifférent. Elle ne s’en cache pas, elle cherche à s’accaparer de notre « temps de cerveau ». Elle est développée et analysée pour créer un affaiblissement du libre arbitre et une distorsion trompeuse de nos ressentis, elle est étudiée à l’aide de techniques qui touchent à la psychologie expérimentale et aux neurosciences. Nous sommes tous inconsciemment influencés au moment de sélectionner et de nous procurer ce que nous pensons être essentiel à la vie, à la protection, au bien-être et à notre épanouissement.
Par dessus tout, l’industrie de la communication commerciale, pour la désigner autrement, mobilise une pléthore de ressources humaines qui œuvrent pour son empire et deviennent eux mêmes des consommateurs biaisés. Une armée de travailleurs consacrent tout leur temps à capter le temps du public dans une sorte de boucle sans fin. Téléprospecteurs managés sous pression, colleurs d’affiches grands formats sur les bords de route, sous la pluie ou en plein soleil, présentateur.rice de produits en tête de gondole, fabricants de gadgets, de totems, de casquettes, annonceurs de quinzaines commerciales, figurants de spots télévisés, « Paid To Click » rémunérés au clic publicitaire, souvent des femmes en situation précaire qui passent leurs soirées à collecter ainsi quelques revenus complémentaires quand les enfants dorment, hommes sandwich, hôtesses d’accueil au sourire figé, agents de sécurité au festival du film de publicitaire, conseillers en marketing… on ne peut s’arrêter quand il s’agit de lister les myriades d’activités qui n’ont souvent rien de noble et surtout rien d’essentiel.

Le marché de la publicité est estimé à 30 milliards d’euros par an en France, ses limites sont floues, il est certainement bien plus ample. La publicité est polymorphe, elle prend la forme de sponsoring, de mécénat, de communication ciblée… Doit-on croire que sans elle, bien des merveilles ne nous seraient plus accessibles, musées, spectacles, journaux ? Tout est fait pour nous convaincre qu’elle est un don, une manne généreuse, offerte à tous. Le mécanisme de l’auto-justification s’enclenche, nous sommes déjà peut-être dans la fameuse dissonance cognitive.
La publicité nous berce et nous rassure avec le décalage du temps. Elle est parfois absurde mais non dénuée de poésie. Une nouvelle ère sans pub nous laisserait loisir d’écouter ses vieilles rengaines comme aujourd’hui on admire les murs de Pompéi qui déjà arboraient de la publicité et une drôle d’annonce prémonitoire…
À Pompéi, un mur comporte cette inscription :
« Je suis émerveillé, ô mur, que tu ne sois pas encore tombé sous le poids de toutes ces niaiseries dont on t’a recouvert ! »
Ne nous privons pas…
…d’un peu de réclame sur les ondes.
L’illustration vidéo qui suit mérite un article que je tenterai d’écrire ultérieurement. Elle résume sans ambiguïté le cycle « production-consommation ». L’annonceur n’hésite pas à promouvoir « un package complet », le produit avec son mode de vie. Le tout s’apparente presque à une propagande idéologique.
Cidade Limpa ou la loi « Ville propre »
Au Brésil, dans la ville de São Paulo, en 2006, le maire de centre-droit Gilberto Kassab fait voter la loi « Ville propre » (Cidade Limpa) interdisant toute publicité dans l’espace public ; les panneaux publicitaires sont démantelés l’année suivante. L’écrivain Roberto Pompeu de Toledo salue alors « Une rare victoire de l’intérêt public sur le privé, de l’ordre sur le désordre, de l’esthétique sur la laideur, de la civilisation sur la barbarie ». Pour rhabiller les nombreuses façades couvertes de publicités qui se trouvent dénudées par la loi, la ville met en place une politique d’aménagement urbain consistant à les décorer à l’aide de graffs, de photographies, de sculptures, etc. La publicité ne disparaît pas totalement car la loi n’interdit pas la publicité sur le mobilier urbain (les abribus, par exemple), les horloges publiques et le métro, et elle ne concerne que l’affichage fixe, pas l’affichage mobile (des gens portant des panneaux ou vêtements publicitaires, par exemple). Un sondage réalisé cinq ans après indique que 70% des habitants de la ville approuvent la loi « Ville propre ». Selon Dalton Silvano, ancien publicitaire, conseiller municipal dans la ville et seul opposant durant le vote de la loi, la loi « a eu un effet terrible, aboutissant à la fermeture d’entreprises de l’industrie ainsi qu’au renvoi de milliers de travailleurs, directement ou indirectement impliqués dans ce média », tandis que la ville argue que « les gens qui dépendaient de travail d’affichage ont été formés dans d’autres types de travaux tels que le marché qui a été créé pour répondre aux façades du commerce ». La mise en œuvre de cette mesure devient une vitrine pour la ville. Dans les années suivant la loi, la municipalité est approchée par de nombreuses villes brésiliennes et étrangères désireuses d’informations et de conseils afin de réfléchir à leurs propres projets. (source Wikipédia).